Extrait du "Courrier des Balkans"
Un tiers des effectifs du site d’Alcatel-Lucent à Timişoara devra
quitter l’équipementier télécom début 2010 pour rejoindre un
sous-traitant indien. Longtemps choyés, les salariés ont décidé de
créer leur premier syndicat et de se mettre en grève pour défendre
leurs droits. Une mobilisation inédite depuis que la multinationale
s’est implantée en Roumanie il y a 18 ans.
Sécurité de l’emploi, bons salaires, primes substantielles, prêts
bancaires préférentiels... Quand Alcatel devient la première société
étrangère à s’implanter à Timişoara en 1991, ses salariés bénéficient
d’avantages bien supérieurs à ceux offerts par les autres entreprises
de la ville. Aujourd’hui pourtant, c’est la tension et le désamour qui
règnent sur le site de la plus grosse multinationale du Sud-Ouest de la
Roumanie. Sous le coup d’un vaste plan de restructuration qui prévoit le
transfert de 30% des effectifs vers le sous-traitant indien Wipro, les
salariés menacent de cesser le travail mardi et mercredi prochains,
après « l’échec » de leur grève d’avertissement du 27 novembre. « Avec près de 500 postes menacés sur 1600, nous sommes les plus
touchés en Europe par le plan global d’économies lancé par le groupe »,
déplore Manuel Martin, 35 ans, président du premier syndicat de la
société fondé en juillet dernier. « Les négociations avec le patronat
ne débouchent sur rien de satisfaisant, il n’y a que par la grève qu’on
pourra faire pression. » Le Syndicat libre d’Alcatel-Lucent Timişoara réclame notamment plus
de garanties pour les employés du Centre technique roumain et du
service financier qui seront transférés début 2010.
Mobilisation à l’échelle européenne
« Nous bataillons pour que chacun obtienne des compensations
financières décentes », explique Laura Oprea, 25 ans, qui travaille au
service financier. « Mais jusqu’ici, la direction a mis des offres de
moins en moins intéressantes sur la table. Nos collègues allemands ont
réussi à obtenir pas mal d’indemnités. Pourquoi n’aurions-nous pas les
mêmes droits ? ». Le 10 novembre dernier, les Alcatel-Lucent avaient déjà manifesté à Timişoara pour mettre la pression sur le patronat ( découvrez le blog des salariés ).
Ce rassemblement, inédit dans l’histoire de l’entreprise, faisait écho
à ceux organisés simultanément en France, en Allemagne et en Italie
contre la suppression attendue de plus de 4000 emplois dans toute
l’Europe. Comptant aujourd’hui près de 400 adhérents, le Syndicat libre de
Timişoara s’inquiète, en particulier, de l’intégrité et de la santé
financière de Wipro. En France, le géant indien de l’électronique a
fermé son unité de Sophia-Antipolis en septembre après avoir encaissé
des millions de crédit d’impôt recherche et rapatrié les brevets en
Inde. « Nous faisons tout notre possible pour limiter l’impact social de
ces externalisations », assure Cătălina Ocheşilă, directrice de la
communication d’Alcatel-Lucent pour l’Europe du Sud-Est. « Les employés
transférés à Wipro continueront de travailler en Roumanie et auront les
mêmes droits qu’à Alcatel. Ils sont aussi à l’abri d’être licenciés
pendant 18 mois. Mais les exigences du syndicat en matière de
compensations financières sont, pour le moment, trop importantes. »
« Les employés découvrent qu’ils ont des droits »
Refroidis par le sort réservé à leurs collègues « vendus aux
Indiens », les membres du Syndicat libre ont insisté, dans la foulée,
pour négocier un contrat collectif de travail. Une négociation rendue
obligatoire par la loi mais qui n’avait jamais eu lieu jusqu’ici, en
l’absence de représentant des salariés. « Ce contrat va nous permettre de nous protéger en cas de
licenciements massifs », estime Manuel Martin. « Nous ne sommes à
l’abri de rien avec la crise... Et puis, c’est l’occasion de mettre les
choses à plat en matière de congés payés, de primes d’ancienneté ou
d’augmentation. C’était absolument nécessaire ! » En moins de six mois, les salariés du site ont donc pris conscience
de leurs droits et se sont mobilisés pour les défendre. Mais, au
départ, le scepticisme était important dans l’entreprise. Non seulement
parce que, pour beaucoup de Roumains, syndicalisme rime encore avec
communisme mais aussi parce que les employés d’Alcatel-Lucent ont
longtemps bénéficié de conditions avantageuses qui ne les
encourageaient pas à se syndiquer. « La crise a renforcé la solidarité entre les travailleurs et
relancé le mouvement syndical », se réjouit Ştefan Gogoşanu, secrétaire
départemental de la confédération syndicale Cartel Alfa à laquelle le
Syndicat libre est affilié. « Depuis quelques mois, les salariés
découvrent qu’ils ont des droits et qu’ils vaut mieux se rassembler
pour les défendre. »
NB : n'hésitez pas à envoyer des messages de soutien sur le blog des salariés de Timisoara.