Agressé par des skinheads : une vie gâchée
L'assassinat de Clément Méric, c'est une affaire qui recommence… Comme un rappel à l'ordre. L'histoire d'un survivant d'une attaque de skinheads…
Encerclé par huit skinheads, prêts à me démonter
C'était en 1984, avec ma fiancée de l'époque nous sortions d'un bar, le CITHEA, dans le 11earrondissement de Paris. On s'est fait encercler par huit skinheads, prêts à nous démonter. Il était 2 heures du matin. J'ai réussi à faire partir ma copine, je me suis retrouvé seul face à eux. Ils se sont rués sur moi, alors j'ai tiré. Deux balles, dans le tas. Résultat : un mort, un blessé et 10 ans de prison ferme pour moi. J'ai plaidé la légitime défense, mais à sept témoignages contre deux, plus le fait que je n'étais pas censé porter une arme, c'était peine perdue. Ces 10 ans de taule, ça a été le début de ma dérive, que je raconte d'ailleurs dans un documentaire de Karl Zero (13ème rue). Comme un fait exprès. Comme un rappel à l'ordre pour ne pas oublier que c'est toujours les mêmes tarés extrémistes qui sévissent.
Une montée en puissance sous Mitterrand
A l'époque, les skinheads c'était un truc assez nouveau et personne n'avait vraiment compris que si je les avais laissé faire, ils m'auraient massacré. J'ai su plus tard que c'était les "Evil Skin" qui m'avaient agressé, une bande très connue et proche de Batskin. Ils s'en prenaient aux gens dans la rue, pour des raisons raciales ou politiques. A l'origine, les skinheads c'étaient de gros gauchistes en Angleterre, mais différents groupuscules d'extrême-droite ont repris leurs codes, notamment vestimentaires, et les ont détournés. Ces groupuscules sont montés en puissance en France dans les années 80, quand Mitterrand est arrivé au pouvoir. Ils étaient persuadés que les communistes allaient prendre le pouvoir, qu'on allait se faire envahir par les soviétiques. Alors ils se sont alliés et ont commencé à démonter tous ceux qu'ils considéraient comme des ennemis : les noirs, les arabes, les gauchistes… L'introduction du scrutin proportionnel aux législatives ayant fait monter le Front national, cela les a renforcé dans leurs positions. Certains groupuscules sont même entrés en politique, en assurant par exemple le service d'ordre du FN. D'autres ont recherché de nouveaux membres par d'autres biais, par exemple le Kop de Boulogne du PSG. Avec la mort de Brahim Bouarram, poussé dans la Seine en 1995 par des skinheads, l'opinion publique s'est (enfin) rendu compte de l'extrême violence de ces mouvements.
La Manif pour tous leur a donné des gages
J'ai l'impression que le climat actuel se rapproche de celui des années 80 et qu'on pourrait faire un parallèle. C'est comme si la reprise du pouvoir par la gauche, avec la victoire de François Hollande, avait réveillé les vieux démons. Le mariage homosexuel, la loi sur les conditions d'enfermement en prison, le fait même d'avoir une ministre de la Justice noire, tout ça doit les rendre fous. L'extrémisme de droite a toujours était latent et sous Sarkozy, il a été calmé par quelques billes données par notre ex-président de la République. Mais depuis l'arrivée de Hollande, les groupuscules ont repris du poil de la bête et se disent : c'est notre heure. Par ailleurs, la Manif pour tous leur a donné des gages politiques. On a pu voir Christine Boutin défiler aux côtés de Gilbert Collard et entendre pas mal de discours homophobes chez les politiques. Or c'est la spécialité des skinheads que de surfer sur une lame de fond. Là, ils ont bien profité de celle des anti-mariage homo, ça leur donne de la force. La parole est libérée, alors pourquoi pas les actes ? doivent-ils se dire. En tous cas, je suis bien placé pour savoir qu'ils sont prêts au combat.
[1] "Ma vie hors la loi", documentaire de Karl Zero sur Laurent Jacqua sera diffusé mardi 11 juin sur 13e Rue.
Propos recueillis par Hélène Decommer (le Nouvel Observateur)