Pascoa, histoire d'une esclave angolaise
En cette journée nationale des mémoires de l'esclavage, le Vif nous emmène à la fin du XVIIème siècle. Quand la monarchie française considérait qu'il fallait développer l'économie de la canne à sucre et donc l'esclavage parce que les autres monarchies européennes le faisaient.
Au Portugal, par exemple, la traite battait son plein... Rien que dans le dernier quart du XVIIème, 300.000 esclaves sont passés d'Afrique au Brésil. Dans cette masse, une historienne a pu distinguer une femme qui s'appelait Pascoa.
L'historienne, c'est Charlotte de Castelnau L'Estoile. Elle compte en millions quand il s'agit de construire sur quatre siècles les statistiques monstrueuses d'une histoire globale, vertigineuse, qui intègre l'Angola, le Brésil et le Portugal. Aux Archives nationales de Lisbonne, il lui a été donné de tomber sur un document unique qui lui a permis de restituer le destin singulier d'une esclave. Elle avait pour nom Pascoa, elle était née dans les années 1660 et avait fait l'objet d'une longue enquête et d'un procès: 111 liasses in folio, une affaire qui dure 7 ans. La traite est brutale, la justice est minutieuse. Et l'histoire peut lui en être reconnaissante.
Pascoa, avant d'être a jusqu'à ses 26 ans en Angola, esclave domestique d'une famille semble-t-il métisse. Elle y vivait, en mauvaise intelligence, avec un autre esclave, Aleixo, dont elle eut deux enfants, morts sans doute assez jeunes.
En réalité, disent les textes accusatoires, "elle allait avec d'autres hommes". Son propriétaire comme son compagnon virent d'un bon œil sa punition : l'envoi au loin, à Bahia où l'acheta un notaire du roi du Portugal. Elle eut alors une relation, consentie laisse-t-on entendre, avec le fils de son nouveau maitre. Puis elle se maria avec un autre esclave, Pedro avec lequel elle se trouva bien jusqu'à ce qu'elle soit arrêtée. L'Inquisition lui tenait grief d'être bigame. Avant le mariage au Brésil, elle aurait conclu un autre mariage en Afrique avec Aleixo, toujours vivant.
L'Inquisition, la bigamie, l'affaire était grave.
L'Inquisition avait une représentation à Bahia mais pas de formation de jugement. Le procès eut lieu, en 1700, à Lisbonne. Pendant toute l'enquête, la documentation franchit quelque 8 fois les mers, ce qui explique, avec le souci du détail des juges, la durée de l'enquête: sept ans ! On se demande: pourquoi tant de souci autour d'une petite esclave pas même capable de signer d'une croix ? Si on voit la question du coté de l'Eglise, on dira que la bigamie est intolérable. Elle emploie contre elle autant de moyens que contre le judaïsme dissimulé ou la sodomie. Si on voit la question du coté des esclaves, on dira que leur condition n'est certes pas d'être libre mais qu'en revanche, leur condition de chrétien leur impose une responsabilité.
Si, épousant Pedro à Bahia, Pascoa a dissimulé la vérité - qu'elle était déjà mariée avec Aleixo en Angola, elle a commis un grès grand péché.
Vous me direz qu'à lire le témoignage d'un jeune ingénieur français qui passe par là à l'époque, Bahia aime le sexe à la folie... Oui certes mais coucher ici et là avec plusieurs hommes ne revêt pas la même importance que de se moquer du sacrement qui vous unit à un seul d'entre eux. La bigamie relève de l'hérésie.
On ne peut comprendre le développement de l'esclavage hors de son rapport dialectique avec le christianisme. Du cote des esclaves, ils admettent moins mal leur sort dès lors que leur est offert un horizon spirituel qu'ils harmonisent plus ou moins avec leurs souvenirs africains : Pascoa fait ses Pâques comme son nom l'indique et garde ses scarifications rituelles. Du coté des religieux missionnaires qui ont pu au départ s'étonner de la rigueur de l'esclavage, ils s'en accommodent dès lors qu'ils voient es victimes adhérer au christianisme. Celui-ci en leur proposant le salut leur offre une grâce qui vaut bien davantage que l'affranchissement.
Et c'est ainsi que les jésuites se rassurent: ils peuvent continuer à participer directement à la traite.
Pascoa, pour en revenir à elle, va manifester une résistance opiniâtre face à ses accusateurs.
Elle va répéter que si elle a été en effet unie en Afrique avec son compagnon Aleixo, c'est par une vague cérémonie bricolée sort avait été entre les mains de l'évêque de Bahia, elle aurait été absoute mais à Lisbonne les Inquisiteurs sont davantage coriaces . L'un d'eux la libèrerait toutefois en arguant du fait que c'est une rustre mais les deux autres insistent au contraire sur son intelligence rusée.
Sa condamnation est cependant modérée. Trois ans de détention. Pas même le fouet, si facilement administré aux esclaves. Mais ce n'est pas comme esclave qu'elle comparaissait. Mais comme enfant de Dieu qui avait désobéi, semé le trouble. La bigamie, c'est une hérésie!
On ne se souvient pas assez que les sociétés esclavagistes reposaient sur un axe économique bien sûr mais aussi sur un axe religieux. On ne comprendrait pas par exemple sans cette dimension le Code noir que rédige alors, en 1685, le fils de Colbert à Versailles. On en retient aujourd'hui la permission donnée au marquage, à l'essoreillage et autres horreurs - qu'on pouvait aussi pratiquer en Europe même. Néanmoins les maîtres ne pouvaient pas tout faire à des personnes qui appartenaient à la même Eglise . Ainsi ils ne pouvaient séparer les esclaves époux. A condition que les esclaves respectent leur mariage. Ce que Pascoa a toujours dit avoir fait. La dernière chose qu'on sache d'elle après sa condamnation, c'est qu'isolée dans une forteresse à la frontière ingrate du Portugal et de l'Espagne, elle demandait son retour où ? A Bahia, auprès de Pedro. L'a-t-elle obtenu ? On ne le sait...
Charlotte de Castelnau L'Estoile, Pascoa et ses deux maris, Champs la collection de poche de Flammarion.