Un amendement sur le sujet est actuellement discuté au Sénat.
«Lorsque ma tante a dû se résoudre à aller s'installer dans un Ehpad, sa première phrase a été: “Que vont devenir mes deux chats?” L'établissement que nous avions choisi stipulait dans son règlement que les résidents ne pouvaient pas emmener leurs animaux de compagnie. Si je l'ai rassurée en lui disant que je prendrai soin d'Orphée et de Tigra, ça a été un vrai choc. Aujourd'hui, ils vivent avec moi et se sont bien acclimatés, mais à chaque fois que je vais la voir, ma tante me dit qu'ils lui manquent… Je lui montre des photos et des vidéos d'eux, ça l'apaise», raconte Émilie. En effet, aujourd'hui, rares sont les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), qui acceptent les animaux de compagnie de leurs résidents. Et lorsqu'ils le font, c'est souvent à des conditions bien précises, notamment que le pensionnaire soit en capacité de s'occuper de l'animal.
Alors, nombreuses sont les personnes âgées à devoir se séparer de leur chien ou de leur chat, parfois dans des conditions autrement plus dramatiques que la tante d'Émilie, y compris pour les proches ou pour les animaux eux-mêmes. «J'ai des horaires de travail compliqués et je ne suis que rarement à mon domicile –impossible pour moi de m'occuper d'un chien. Alors, lorsque mon père, atteint de la maladie d'Alzheimer, a dû partir en Ehpad, j'espérais que mon frère, qui a un jardin, prenne son petit croisé, auquel il tenait beaucoup. Mon frère a refusé et j'ai dû conduire l'animal à la SPA. Ça me bouleverse. D'autant qu'après, il a acheté un chien de race dans un élevage», témoigne Pierre, encore très ému par cette histoire plusieurs années après et qui se demande si Snoopy a finalement été adopté.
De son côté, Stéphanie, bénévole au sein de L'école du chat à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), rapporte que l'association «recueill[e] souvent des chats dont les maîtres sont décédés ou placés en institution. Ce sont souvent des chats âgés qui s'adaptent mal au changement d'environnement et se retrouvent dans des situations de stress extrême lorsqu'ils arrivent en famille d'accueil.» Et même si les chats finissent par s'adapter, leur grand âge fait souvent qu'ils ne trouvent pas d'adoptants.
«On peut trouver des solutions»
C'est dans ce contexte et afin d'éviter ces situations difficiles qu'un amendement à la proposition de loi portant sur les mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France prévoyait l'obligation pour les Ehpad de garantir «le droit de leurs résidents d'accueillir leur animal domestique» et de prendre «les dispositions nécessaires à cet accueil».Si cet amendement a été adopté en première lecture à l'Assemblée en novembre dernier, il a, mi-janvier, été supprimé par la commission des affaires sociales du Sénat, qui a préféré renvoyer au règlement de l'établissement le soin de définir «les conditions dans lesquelles leurs résidents peuvent accueillir leur animal domestique».
Retour à la case départ, donc, même si le Sénat doit encore se prononcer lors de la discussion en séance publique prévue les 30, 31 janvier, 1er et 6 février 2024. Pour Philippe Juvin, médecin et député des Hauts-de-Seine (Les Républicains) qui a présenté l'amendement, permettre aux personnes âgées d'emmener leur animal en Ehpad a «quelque chose de tellement évident»: «Il ne faut pas ajouter une rupture à une rupture dans la vie des personnes âgées: elles sont comme tenues par leur animal de compagnie et sans lui, leur état risque de se dégrader rapidement.»pté en première lecture à l'Assemblée en novembre dernier, il a, mi-janvier, été supprimé par la commission des affaires sociales du Sénat, qui a préféré renvoyer au règlement de l'établissement le soin de définir «les conditions dans lesquelles leurs résidents peuvent accueillir leur animal domestique».
Reha Hutin, présidente de la fondation 30 millions d'amis abonde: «Le thème des animaux de compagnies en Ehpad a été l'un de nos tout premiers sujets d'émission dans les années 1980, autant dire qu'il nous tient à cœur. Les refuges, déjà pleins à craquer, accueillent bien trop d'animaux dont les maîtres ont été contraints de se séparer. C'est un véritable traumatisme de part et d'autre.» «J'espère vraiment que ceux qui nous gouvernent vont aller dans le sens d'une mesure soutenue par le public, ajoute-t-elle. On peut trouver des solutions, il y a des bénévoles d'associations prêts à venir s'occuper des animaux des résidents d'Ehpad.»
Des difficultés qui n'ont rien d'anecdotique
Mais si cet amendement semble une bonne idée et relever d'une logique implacable, il faut faire un pas de côté, sortir de l'angélisme et donner la parole à ceux qui sont sur le terrain. Il apparaît que les choses sont moins simples qu'elles en ont l'air: ne pas défendre un droit opposable par les résidents d'Ehpad à ce que leur animal domestique soit accueilli avec eux ne relève pas d'une posture de sans-cœur ou d'empêcheur de tourner en rond. Car si nul ne saurait nier les bienfaits de la présence d'un chat ou d'un chien auprès d'une personne âgée –a fortiori quand il s'agit du sien–, il n'en reste pas moins que les difficultés n'ont rien d'anecdotique.
La première chose à rappeler est que les Ehpad n'ont rien de résidences hôtelières et que les personnes qui y séjournent sont là parce qu'en situation de perte d'autonomie fonctionnelle et/ou cognitive. «Les maladies neurodégénératives sont la première cause d'entrée en Ehpad», rappelle le gériatre Matthieu Piccoli. Autrement dit, les personnes sont rarement en capacité de s'occuper de leur chat ou de leur chien. Le médecin souligne qu'«il ne faudrait pas créer une loi sans donner aux personnes les moyens de faire valoir leurs droits». Il serait donc nécessaire que les établissements mettent en place des structures et du personnel pour prendre en charge les animaux.
Chose ardue dans un contexte de manque où les Ehpad ont déjà beaucoup à faire pour améliorer l'existant, souvent dans un bien piteux état comme l'a amèrement rappelé le livre les Fossoyeurs de Victor Castanet. «Je crains que les établissements privés y trouvent une nouvelle manne financière et instaurent des forfaits chiens et chats qui ajoutent aux tarifs souvent déjà élevés», commente Vincent Boft de Cheix, assistant social en gériatrie. Certes, il existe déjà des associations comme TERPTA qui promeuvent des projets permettant aux résidents de maintenir le lien avec leur chat ou leur chien, mais il semble compliqué de se reposer uniquement sur la générosité et le bénévolat, tant la charge pourrait être immense.
«Il ne faudrait pas que les personnes âgées aient moins de droits que les animaux accueillis»
En outre, la vie en Ehpad, c'est aussi une vie en collectivité. Or, tout le monde n'aime pas les animaux et ne sera pas ravi de voir un chat ou un chien se promener dans les couloirs, se frotter à lui, débarquer dans sa chambre, voire le mordre ou le griffer. Avoir des droits, c'est aussi avoir des devoirs, comme celui de ne pas importuner ses corésidents. «Il ne faudrait pas que les personnes âgées aient moins de droits que les animaux accueillis», avertit le Dr Matthieu Piccoli. Il existe, de plus, un vrai risque de maltraitance envers les animaux de la part de résidents qu'ils pourraient déranger et/ou qui seraient touchés par la démence.
De toute évidence, si la séparation avec un animal est un crève-cœur, elle est parfois malheureusement nécessaire et il n'existe pas de solution miracle, tant le départ en Ehpad est toujours une forme de renoncement. Pour Matthieu Piccoli, il importe aujourd'hui que la loi sur le bien vieillir ait une vision plus globale que des mesures isolées et qu'elle mette tout en œuvre pour que les personnes âgées puissent rester à leur domicile, avec, donc, leur chien ou leur chat, le plus longtemps possible.
Ainsi, il faut notamment que la focale soit mise sur la prévention des maladies dégénératives et sur les alternatives à l'Ehpad, comme le relogement dans des habitats plus fonctionnels ou des colocations avec une aide médicale partagée. En outre, et pour le bien de l'animal, il s'agit d'y réfléchir à deux fois quand on adopte à un certain âge et de se demander qui pourra s'en occuper si l'on ne peut plus le faire. (selon "Slate")