Le gouvernement a abandonné son projet d’augmenter les taxes sur les pesticides et l’irrigation, privant ainsi de financement supplémentaire les agences de l’eau. De quoi révolter les acteurs du secteur.
Ils sont en colère. Dans une lettre envoyée à Emmanuel Macron le 7 décembre — révélée le 12 décembre par le média Contexte — plusieurs présidents de comité de bassin reprochent au gouvernement d’avoir renoncé à augmenter les taxes sur l’irrigation et les pesticides, à partir de l’année prochaine. « Nous vous appelons solennellement à soutenir les équilibres du Plan eau dans le projet de loi de finances 2024 », ont-ils écrit au chef de l’État.
C’est le 5 décembre que le conflit a commencé. En fin de journée, la Première ministre Élisabeth Borne a reçu les présidents de deux syndicats agricoles : Arnaud Rousseau, de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), et Arnaud Gaillot, des Jeunes agriculteurs.
À l’issue de ce rendez-vous, Arnaud Rousseau a annoncé que le gouvernement renonçait à la hausse de deux taxes, pourtant prévues dans le projet de loi de finances pour 2024 : la redevance pour pollutions diffuses, perçue sur les ventes de pesticides ; et celle sur les prélèvements sur la ressource en eau pour l’irrigation. Elles devaient permettre de récolter respectivement 37 millions et 10 millions d’euros supplémentaires, destinés à financer les agences de l’eau et le Plan eau, annoncé par Emmanuel Macron en mars.
La FNSEA et les Jeunes agriculteurs s’opposaient depuis plusieurs mois à cette réforme. Les syndicats avaient organisé des manifestations partout en France, sous le slogan « On marche sur la tête » — en retournant symboliquement des panneaux signalétiques d'entrées de communes. Ils critiquaient « l’ineptie d’une fiscalité environnementale punitive ».
Un rendez-vous réclamé d’urgence
Le gouvernement a donc cédé sous la pression des syndicats agricoles productivistes. Ce qui a révolté plusieurs présidents de comité de bassin — un comité de bassin est une assemblée qui regroupe les acteurs, publics comme privés, agissant dans le domaine de l’eau au sein d’un bassin — et le président du comité national de l’eau.
Sur les douze comités de bassin que compte la France, cinq représentants ont écrit à Emmanuel Macron le 7 décembre. Ils dénoncent des arbitrages « qui remettent en cause toute l’architecture financière du Plan eau et, au-delà, les accords de solidarité entre usages qui sont la base même du fonctionnement des bassins ».
« Les comités de bassin sont prêts à prendre leur part de ces stratégies en responsabilité. Cette responsabilité est toutefois partagée avec l’État et requiert son soutien sans faille », ont-ils poursuivi, réclamant un rendez-vous dans les meilleurs délais. Cité par Contexte, Martial Saddier, président du comité de bassin Rhône-Méditerranée (il ne fait pas partie des signataires de la lettre), déclare qu’Élisabeth Borne lui a assuré qu’elle donnera suite à ce courrier.
« Continuez comme avant, on ne vous embêtera pas »
La décision du gouvernement a aussi choqué dans le monde associatif. « Le gouvernement cède aux pressions d’une partie du monde agricole », a dénoncé Arnaud Clugery, le porte-parole de l’association Eaux et Rivières de Bretagne, au micro de France Info le 6 décembre. Et d’ajouter : « [C’est un] signal donné à la FNSEA et à l’agro-industrie pour leur dire “Continuez comme avant, on ne vous embêtera pas plus”. »
« En application du principe pollueur-préleveur-payeur et du respect de l’objectif d’équilibre des comptes publics, il est essentiel que les irrigants et les utilisateurs de ces produits contribuent à l’effort financier », ont insisté un collectif d’ONG (parmi lesquelles Générations futures, France Nature Environnement et WWF France) dans une lettre envoyée le 12 décembre à Élisabeth Borne.
Elles rappellent que le Commissariat général au développement durable (CGDD) avait évalué, en 2011, les coûts de dépollution des eaux souterraines (à cause des pesticides) entre 32 et 105 milliards d'euros. « Peut-on véritablement se passer de 37 millions d’euros ? » font-elles mine de s’interroger.
Le projet de loi de finances pour 2024 doit être à nouveau examiné par l'Assemblée Nationale. (selon "Reporterre")