Avec le réchauffement climatique, les régions arctiques, dont les terres sont gelées depuis des millénaires, deviennent plus facilement accessibles. Or, le sous-sol, s'il contient du pétrole et du gaz, réserve aussi quelques surprises...
Enfoui depuis 30.000 ans, "Pithovirus" refait surface
C'est à Marseille, dans le laboratoire Information génomique et structurale (CNRS/AMU), qu'il a été découvert en juillet 2012. Un virus inconnu jusque-là, de taille inédite – 0,5 micronw de diamètre pour 1,5 micron de long –, qui fonde la troisième famille de virus géants, les seuls visibles au microscope optique. Tout droit venu de l'extrême Nord-Est sibérien, dans la région de Tchoukotka, cette surprenante bébête était enfouie à 30 m sous terre depuis 30.000 à 40.000 ans. Bien cachée jusqu'à ce qu'une équipe franco-russe s'avise de prélever des échantillons de permafrost, cette couche de sol gelée en permanence depuis des millénaires qui peut dépasser 1.500 m d'épaisseur. "Les amibes que nous cultivons au labo ont attrapé ce virus pour nous après avoir été mises en contact avec le permafrost.
Infectées, les amibes sont mortes, tuées par le virus qui s'est multiplié en plusieurs milliers de nouveaux exemplaires", explique Chantal Abergel, virologue et codécouvreur de ce Pithovirus sibericum. Conclusion : après avoir survécu congelé pendant plus de 30.000 ans, celui-ci a conservé tout son potentiel infectieux. Et consolation : ce virus-là est inoffensif pour l'homme. Une certitude qui ne suffit pas à rassurer tout à fait Jean-Michel Claverie, professeur à la faculté de médecine de Marseille et également codécouvreur : "Qui nous dit qu'il n'y a pas, dans cette nouvelle famille, d'autres virus dont nous ignorons l'existence et qui pourraient être pathogènes pour l'homme et les animaux?
Le virus de la variole sur une femme momifiée
L'inquiétude des scientifiques se nourrit d'abord de l'existence même du permafrost, qui recouvre des millions de kilomètres carrés dans les régions arctiques, en Russie, au Canada, en Alaska… Un vrai congélateur naturel où la lumière ne pénètre pas, sans oxygène, au pH neutre, idéal pour conserver les molécules organiques. D'autres que Pithovirus s'y trouvent donc certainement, mais lesquels ? Le virus de la variole, éradiqué dans les années 1970, pour lequel on a arrêté la vaccination mais qui a tué des dizaines de millions de personnes au cours du XXe siècle, est vite évoqué : "Au niveau du génome et de leur mode de réplication dans les cellules, Pithovirus sibericum et le virus de la variole se ressemblent, constate Jean-Michel Claverie. Notre travail démontre que ce dernier, s'il a été éliminé de la surface de la Terre, pourrait toujours exister dans les profondeurs du sous-sol."
Une autre équipe franco-russe a d'ailleurs retrouvé des séquences du virus de la variole sur les restes d'une femme momifiée et conservée dans le permafrost depuis 300 ans en Iakoutie, au nord-est de la Sibérie. Des personnes ont donc certainement succombé à cette épidémie dans la région. Avec la variole, d'autres virus, connus ou non, pourraient faire leur réapparition. "Si l'extinction de l'homme de Neandertal il y a 30.000 ans, contemporaine de Pithovirus, avait pour origine une infection virale, le virus responsable pourrait très bien ressurgir un jour et être pathogène pour Homo sapiens", estime Chantal Abergel. Sans compter les bactéries : on sait déjà que lors d'étés particulièrement chauds, marqués par un dégel plus important de la couche superficielle du permafrost, des foyers d'épidémie de maladie du charbon (anthrax) ressurgissent chez les rennes. Une maladie déclenchée par les spores "libérées" que mangent les animaux.
Un catalogue des micro-organismes
Si le réchauffement climatique ne va pas dégeler le permafrost sur de grandes profondeurs – "la Sibérie ne va pas devenir Saint-Tropez du jour au lendemain", plaisante Jean-Michel Claverie –, il fait déjà fondre la glace de mer, ouvrant ainsi une nouvelle route maritime au nord de la Sibérie, qui donne accès à des contrées jusque-là quasi vierges. Avec à la clé la prospection de minerais, et des forages pour aller chercher du gaz ou du pétrole à de grandes profondeurs. "On va aller tripatouiller des couches de permafrost jamais touchées depuis des millions d'années et faire remonter de la tourbe qui se retrouvera à l'air libre, au contact direct de l'homme. Or elle contient peut-être des virus dangereux", s'inquiète Jean-Michel Claverie. Pour l'heure, sans verser dans la science-fiction, l'équipe marseillaise va tenter d'isoler et de cataloguer les micro-organismes présents dans une quinzaine d'échantillons de permafrost prélevés à différentes profondeurs en Sibérie. "Nous prenons le maximum de précautions, précise Chantal Abergel, on ne cherche pas à réactiver autre chose que des virus d'amibes." "Le séquençage" des ADN contenus dans le premier échantillon de permafrost doit commencer ces jours-ci. (Selon JDD, Richard Bellet)