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Différences : le blog de Jean-Louis BOEHLER
20 décembre 2021

Sénégal, Burkina Faso : manifestations

Pourquoi la jeunesse clame : « France, dégage ! »

s_n_galÀ Ouagadougou, à Saint-Louis, à Dakar... se déroulent des manifestations anti-françaises de plus en plus violentes. Derrière, une poussée décoloniale, anti-impérialiste, détournée en partie au profit de rivalités politiques.

Saint-Louis, la grande ville à l’architecture coloniale du nord du Sénégal, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, a retrouvé un peu de sa superbe en ce mois de novembre. Élections municipales obligent – elles auront lieu à la fin janvier 2022 –, des équipes de nettoyeurs s’activent pour balayer les rues et ôter une partie des déchets en plastique qui ont envahi l’agglomération, s’accrochant partout aux arbres, aux filets de pêche, débordant du fleuve Sénégal qui se jette dans l’océan Atlantique.

La vaste plage qui longe le cimetière musulman offre le même spectacle de décharge à ciel ouvert, avec au loin les piroguiers qui font vivre le quartier surpeuplé de Guet Ndar, majoritairement composé de la communauté de pêcheurs lébous. En face, le mythique hôtel de la Poste où séjournait Jean Mermoz, figure de l’aventure de l’Aéropostale. Et, enjambant le fleuve, l’immense pont Faidherbe, inauguré en octobre 1897 par le ministre français des Colonies André Lebon et baptisé en l’honneur de Louis Faidherbe, administrateur colonial de la ville et acteur majeur de la conquête du pays par les troupes françaises.

La rage contre Paris plonge ses racines dans l’humiliation d’une « décolonisation » perçue comme inachevée.

En plein centre-ville, une statue à l’effigie du pacificateur sanglant de l’Algérie témoigne encore d’un « Sénégal reconnaissant », alors qu’une campagne animée par un collectif d’associations françaises et sénégalaises réclame la chute de ce symbole – comme de débaptiser ou faire tomber rues et monuments l’honorant en France.

Soixante ans après l’indépendance et le départ du dernier administrateur colonial, la jeunesse sénégalaise est saisie par une intense poussée « décoloniale » et par une rancœur croissante envers l’influence prêtée aux décideurs parisiens dans les affaires du pays. Un collectif baptisé France dégage multiplie les actions coups de poing. Son principal animateur, l’activiste Guy Marius Sagna, a effectué plusieurs mois de prison, accusé notamment d’organiser des rassemblements non autorisés et de diffuser de « fausses nouvelles »

Populisme

Mais c’est surtout Ousmane Sonko, étoile montante de la politique sénégalaise très populaire auprès de cette même jeunesse, qui s’est imposé comme l’opposant numéro un du président Macky Sall en portant ce combat contre la politique africaine de la France. Lors de la dernière campagne présidentielle de 2019, où il s’est hissé à la troisième place, le populiste n’a cessé de pointer le pillage des ressources pétrolières et gazières par des entreprises françaises, Total en tête. Le principal gisement, situé en face du cimetière de Saint-Louis, à cheval sur les eaux mauritaniennes, devrait produire ses premiers mètres cubes de GNL (gaz naturel liquéfié) à l’horizon 2023 et constituer une rente colossale pour le pays.

Contrairement aux affirmations d’Ousmane Sonko, ce sont en réalité des sociétés anglo-saxonnes – dont Kosmos Energy pour le gisement de Saint-Louis – qui ont raflé l’essentiel du magot pétrolier et gazier. Lors des émeutes qui ont secoué Dakar en mars 2021, consécutives à l’arrestation de ce même Ousmane Sonko, accusé d’un viol sous la menace d’une arme dans un salon de massage, ce sont pourtant des symboles de cette mainmise française supposée (stations Total, supermarchés Auchan, boutiques Orange) qui ont été pris pour cible.

Des rumeurs se propagent à toute allure : l’armée française, déployée dans le cadre de l’opération « Barkhane », ne combattrait pas les « terroristes » mais les protégerait.

« La compagnie nationale de télécom Sonatel a été rachetée par Orange, et cela, les gens ne le supportent pas. Il est tout à fait anormal que des entreprises aussi stratégiques ne restent pas aux mains d’un opérateur public », estime Mary Teuw Niane, qui se présente à la mairie de Saint-Louis contre Amadou Mansour Faye, l’actuel édile et beau-frère du président Macky Sall. En tête des sondages confidentiels réalisés en septembre dernier, Mary Teuw Niane entend bien redonner à sa ville son histoire sénégalaise et il milite pour débaptiser le pont Faidherbe comme pour remiser la statue éponyme dans un musée.

Mais la rage contre la politique française plonge ses racines bien au-delà des frontières de Saint-Louis et du Sénégal, dans la violence, l’humiliation du processus colonial, d’une « décolonisation » perçue comme inachevée. Elle provient aussi de l’environnement immédiat et de ce Sahel gangrené par les groupes armés se revendiquant du djihad et où des cellules « terroristes » sont identifiées et surveillées jusqu’à Kédougou, près de la frontière malienne. De Bamako à Niamey, en passant par Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, la rumeur s’est répandue comme une traînée de poudre. L’armée française, dont près de 5 000 hommes sont déployés dans le cadre de l’opération « Barkhane », non seulement ne combat pas les « terroristes » mais leur livre des armes, les protège, les renseigne, voire assassine elle-même les populations locales.

Sous la coupe du FMI

Quelques jours seulement après l’attaque d’un détachement de gendarmerie à Inata, dans le Soum, qui a fait 53 morts, le 16 novembre, parmi les militaires burkinabés, les manifestations de colère se sont multipliées. Elles ont été jusqu’à bloquer un convoi français d’une soixantaine de poids lourds, escortés par une centaine de soldats en direction du Niger. Ce convoi a été immobilisé par des habitants exaspérés, exigeant d’inspecter le contenu du véhicule censé contenir des armes destinées aux groupes djihadistes. Ayant finalement réussi à franchir la frontière nigérienne, la colonne a encore dû s’arrêter à une trentaine de kilomètres dans la localité de Téra, où étaient dressées là aussi des barricades. Les force de l’ordre nigériennes et les militaires français, selon plusieurs témoignages recueillis sur place, n’ont pas hésité à user de leurs armes contre la foule, faisant 2 morts et 18 blessés chez les manifestants.

Norbert Ouangré, secrétaire général adjoint de la CGT-B, principale centrale syndicale du Burkina Faso, tient cependant à distinguer cette vague « anti-française », dénoncée avec force par l’Élysée, d’une colère « anti-impérialiste » parfaitement justifiée. « Nous faisons face à un pouvoir néocolonial », estime-t-il : « La France a pris le soin de maintenir sur nous un certain contrôle, sur la vie économique comme sur les questions militaires où nous avons encore des officiers français qui conseillent notre armée. Et quand les responsables du Fonds monétaire international viennent, on sent que ce sont eux les véritables propriétaires du pays. C’est eux qui nous dictent ce que nous devons faire, quel budget consacrer à l’éducation, etc. Et si nous n’obéissons pas, nous n’obtenons pas les lignes de crédit. C’est un sentiment anti-impérialiste car personne ne s’en prend aux Français en tant que tels, avec qui nous avons des liens profonds d’amitié. Et c’est ce même impérialisme qui, en réalité, nous exploite, le peuple français comme le burkinabé. » (selon "L'Humanité")

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