Après le décès, le 8 juin 2009, du doyen des chefs d’Etat africains, Omar Bongo Ondimba, c’est désormais au guide de la Révolution libyenne qu’échoit ce titre. Cela lui fait 40 ans en effet à la tête de la Libye. Chose qui aurait pu causer quelques problèmes de conscience dans une démocratie libérale où le mot alternance a encore tout son sens. Mais que voulez-vous ! Kadhafi n’est pas un chef d’Etat élu ; il n’est même pas chef d’Etat. C’est un Guide. Pour l’homme de la rue du côté de Tripoli, c’est même un Guide choisi à l’unanimité par le peuple libyen pour présider à ses destinées …pour longtemps encore. Autant dire que si le Tout-Puissant lui prête longue vie, il est parti pour faire une entrée fracassante dans le livre Guinness des records en matière de longévité au pouvoir. Et en attendant de célébrer le 50e, voire le 70e anniversaire de son règne, la fête promet d’être belle pour ses quarante petites années à la tête du pays. Dans une semaine, jour pour jour donc, les Libyens vont certainement célébrer avec faste l’acte 40 de la Révolution du Premier-Septembre. Et pour cet évènement, du côté de la Jamahiriya arabe libyenne, on entend, autant que faire se peut, – et Dieu seul sait comment dans ce pays jaillissent les pétrodollars - mettre les petits plats dans les grands pour que la fête reste, pendant longtemps encore, dans la mémoire de tous comme une hyper réussite en matière d’organisation. Pour joindre l’utile à l’agréable, le premier des Libyens veut faire coïncider son quarantième anniversaire à la tête du pays avec un Sommet de l’Union africaine à Syrte. C’est dire donc que la quasi-totalité des princes qui nous gouvernent seront de la partie.
Ainsi, ce pays - là, nous en parlerons abondamment encore dans les tout prochains jours. Mais, en attendant, ce qui fait la une de l’actualité africaine, voire internationale, c’est la libération pour des raisons de santé de l’ancien agent libyen Abdel Basset Ali al-Megrahi qui, on se rappelle, était condamné à la prison à vie pour l’attentat contre un Boeing de la compagnie américaine Pan Am en 1988. Il y a 20 ans, on se souvient, à Lockerbie, une petite bourgade sans histoire, juste à la frontière entre l’Angleterre et L’Ecosse, un Boeing 747 de la compagnie Pan Am, avec à son bord 259 passagers et membres d’équipage, qui avait décollé 38 minutes plus tôt de Londres, explosait en plein vol et s’écrasait sur ce village. C’était un attentat au lourd bilan : 270 morts. C’est cet homme - jugé et reconnu coupable d’attentat contre cet avion - qui vient d’être libéré par le ministre écossais de la Justice, Kenny Mac Askill, lequel estime que « le fait de commettre des atrocités ne peut et ne doit être une base pour perdre de vue qui nous sommes, les valeurs que nous voulons porter et les croyances selon lesquelles nous voulons vivre ». Et pour le garde des Sceaux de l’Ecosse, Abdel Basset Ali al-Megrahi, qui est atteint d’un cancer de la prostate en phase terminale, « n’a plus que quelques mois à vivre et il fallait l’élargir ». C’est donc un Abdel Basset Ali al-Megrahi victorieux et tout heureux qui a été ramené triomphalement à Tripoli auprès des siens par vol spécial par des fils du colonel Mouammar Kadhafi, la semaine écoulée. Bien malheureuses de voir ce condamné libyen s’en tirer à si bon compte, les familles des victimes de cet attentat de Lockerbie se disent doublement humiliées par les récents propos du rejeton du Guide qui n’a guère fait preuve de diplomatie en déclarant que la libération du cerveau de l’attentat de Lockerbie était intimement liée à la signature de futurs accords énergétiques entre la Libye et la Grande-Bretagne. Une sortie médiatique qui, on s’en doute, a créé une mini crise politique du côté de la Grande-Bretagne, où l’opposition est montée au créneau pour en savoir plus dessus, en acculant le gouvernement de Gordon Brown jusque dans ses derniers retranchements. Il en est de même aux USA, où le directeur du FBI, qui n’a pas pour habitude de commenter les décisions de justice, s’est dit cette fois scandalisé par les propos du fils Kadhafi.
Mais, au-delà de tout cela, ce qui aura incontestablement marqué l’actualité internationale en cette fin de semaine, c’est sans aucun doute la honteuse reculade de la confédération suisse vis-à-vis de la Libye. On se souvient que la crise entre la Libye et la Suisse a éclaté après l’arrestation d’Hannibal Kadhafi (le fils du Guide) et de son épouse, Aline, le 15 juillet 2008, dans un hôtel de Genève, par suite de plainte pour mauvais traitements de leurs domestiques, à savoir une Tunisienne et un Marocain, qui ont finalement été indemnisés et ont retiré leur plainte ; ce qui a permis de classer le dossier judiciaire comme le demandait la Libye. Cependant, outre l’abandon des poursuites judiciaires, Tripoli exigeait de Berne des excuses officielles ; eh bien ! c’est à ce piteux et humiliant exercice qu’a dû se soumettre la toute-puissante confédération helvétique : « J’exprime mes excuses au peuple libyen pour l’arrestation injuste de diplomates libyens par la police de Genève ». Par cette reculade à forte odeur de pétrole, le président de la confédération helvétique, Hans Rudolf Merz, a mis ainsi un terme au conflit qui opposait son pays à la Libye depuis la fameuse interpellation à Genève du fils Kadhafi, un crime de lèse-Guide honteusement réglé à coups d’excuses officielles. Autant dire que, par cet exercice, le premier Helvète est allé à Canossa. Mais, véritablement, Berne, où les banques lavent plus blanc, pour paraphraser le titre d’un livre du célèbre sociologue suisse Jean Ziegler, pouvait-il se permettre d’entretenir si longtemps des relations orageuses avec ces émirs de l’or noir que sont les Libyens, sans en ressentir le contre-coup ?
Assurément non, car aux premières heures de cette crise déjà, la Grande Jamahiriya avait décidé d’arrêter l’approvisionnement de la Suisse en pétrole brut. Sur les 5,14 millions de tonnes de pétrole dont a besoin ce pays pour son économie, 3,7 millions proviennent de la Libye. Sans oublier le retrait des avoirs libyens des banques suisses, qui s’élèvent à 7 milliards de dollars. Hormis tout cela, le royaume des Kadhafi avait décidé l’arrêt de toute coopération économique avec Berne pour protester contre les mauvais traitements infligés à ses diplomates, qui ne sont autres qu’Hannibal et sa tendre et douce moitié Aline. Comme on le voit donc, la Suisse perdait au change. Et ainsi, toute-puissante financière qu’elle est, elle n’a pas hésité à ravaler son honneur et sa fierté toutes suisses pour se plier aux bonnes grâces et aux desiderata du roi des rois d’Afrique, le magnat du pétrole. Ainsi va le monde ... du pétrole.
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