AUDIENCE INHABITUELLE hier devant le tribunal correctionnel de Nancy où la ministre de la Formation professionnelle et de l’apprentissage poursuivait notre journal pour un article intitulé « Caprice », paru dans notre édition de Nancy du 22 mars dernier. Il s’agissait d’un « billet » d’humeur comme le relève le président Formet, évoquant le témoignage d’une Nancéienne dont un proche, employé de l’aéroport de Rome, faisait état d’un retard à l’embarquement sur un vol Air France où la ministre, en voyage privé avec sa mère et sa fille traitées en VIP dans le salon d’honneur, aurait demandé l’embarquement de ses bagages en cabine au moment des contrôles de sécurité.
Le président interroge l’auteur, Christophe Dollet. « J’ai été informé de cette affaire par une copie de mail qui était adressée à deux amis. Mon premier souci a été de me renseigner sur la fiabilité de ce témoignage qui émanait d’une personne, conseillère municipale de la majorité de M. Rossinot et honorablement connue à Nancy. Ses informations étaient plausibles et convaincantes ». Cette lectrice évoque aussi ses fréquents voyages en Italie où en famille, on parle de Berlusconi, mais aussi de Nadine Morano. « J’ai vérifié l’information auprès d’un contrôleur aérien, qui m’a indiqué qu’il y avait un quart d’heure de retard et auprès d’un délégué syndical d’Air France que ce retard était lié à l’embarquement dans l’espace VIP » reprend notre journaliste, fort de ses 30 années d’expérience.
Christophe Dollet qui a différé son billet de cinq jours laissant passer les élections cantonales, éclaire la plainte de la ministre par cette confidence : « J’ai travaillé avec de grandes figures politiques comme MM Seguin, Chevènement, Poncelet ou Forni. J’ai écrit plus de 4.000 billets dans ma carrière, sans le moindre souci. Jamais, je n’ai été confronté à une telle violence, à une volonté de me nuire et de me détruire professionnellement ».
M e Thibaut, avocat de la ministre absente de l’audience, estime que sa cliente est suspectée d’avoir « bénéficié d’un avantage indu alors que l’accès VIP est un usage. Elle conteste avec force tout prébende ou autres avantages ». L’avocat rapporte que Nadine Morano est « peinée et blessée, car les temps changent, et ce qui était acceptable il y a 20 ans ou faisait rire voici 10 ans, peut effectivement ternir l’image des politiques. Or si l’avion a eu du retard, c’est du fait de la reconduite à la frontière de deux clandestins. Le fait donc d’attribuer le retard à un caprice de Nadine Morano est une interprétation subjective particulièrement grave ». Estimée par Nadine Morano à 15.000 euros de dommages et intérêts.
« UNE MANIÈRE DE DIRE : TAISEZ-VOUS ! »
Les temps changent en effet car là où dans les affaires de diffamation, la plupart des substituts de permanence dans les audiences correctionnelles s’en remettent « à l’appréciation » ou à la « sagesse » du tribunal, pour cette audience, le procureur Morey s’est déplacé en personne. Pour requérir 1.500 euros d’amende et affirmer « qu’un journaliste doit être en mesure d’apporter la preuve de ce qu’il avance ». Dans ce cours magistral d’une demi-heure, le parquetier estime que le journaliste ne peut être crédité que du droit d’informer et de l’absence d’animosité. C’est-à-dire deux des quatre principes juridiques de la bonne foi, mais le magistrat écarte les deux autres, « l’enquête sérieuse et la prudence ». Il appuie aussi sans mollir la plainte ministérielle de cette formule : « Attribuer le retard de l’avion à un caprice constitue un élément objectif de l’atteinte à l’honneur et à la considération ».
M e Vohmann, avocat de L’Est Républicain enchaîne derrière « un parquet qui agit sur ordre », et pointe d’emblée l’enjeu du procès : « ce dossier touche à la démocratie et à la liberté d’informer car Mme Morano qui est pourtant ultra-médiatique et a le cuir dur, a mis en œuvre les grands moyens. J’espère que ce n’est pas une tentative d’intimidation de la presse que l’on estime insuffisamment docile, une manière de dire aux journalistes : taisez-vous ! » M eVohmann égrène ensuite les plus récentes affaires où Nadine Morano a défrayé la chronique, la demande de visite de sa fille en VIP au Louvre, révélée par le Canard Enchaîné ou le licenciement au Printemps de Nancy d’une vendeuse dont elle s’est plainte à la direction. À chaque fois, il y avait des témoins. À Rome, l’atmosphère du « caprice » présumé était plus feutrée. L’avocate du journal a écrit à Air France qui n’a pas communiqué ses comptes rendus. En revanche, la ministre les a obtenus. Et son avocat les produit. Le rapport du chef d’escale d’Air France codifie le retard de l’avion. Deux chiffres apparaissent le 86/03 pour l’embarquement de ressortissants expulsés et sur la même ligne le code 16. Et dans la nomenclature des procédures, cela signifie «traitement VIP ». M e Vohmann estime donc que Nadine Morano, « tellement persuadée que personne ne pourrait apporter la preuve », a « voulu mettre au pas M. Dollet et son journal à sa botte ». Décision en délibéré le 4 novembre prochain.
Alain DUSART ("L'Est Républicain" du 8/10/2011)