Qui connaît le patron dans une holding ? Certains auront vu son portrait sur papier glacé mais qui peut être sûr d’identifier sa voix, ses intonations ? Le comptable, pas sûr… C’est un peu le ressort, en plus d’un gros travail d’intelligence économique, d’une énorme arnaque apparue en France depuis environ trois ans et qui vient de toucher pour la première fois la Franche-Comté où trois entreprises ont été attaquées sur le même mode, avant les fêtes de Noël.
Mise en condition savante
Tout débute par un mail pressant du PDG, sur le point de conclure une opération financière stratégique. L’affaire doit se faire dans la plus absolue confidentialité. Interdiction même de lui en parler lors d’une réunion. Il a besoin, dit-il, d’un virement immédiat pour démontrer à ses interlocuteurs sa volonté d’aller au bout de la transaction. Une fois l’employé convaincu, et flatté d’être dans le secret des dieux, acquis à sa cause, il prévient alors que l’avocat d’affaire d’un cabinet d’experts comptables au nom ronflant va prendre contact pour donner la marche à suivre. Ce qui se fait dans les minutes qui suivent. Habituée à manipuler des sommes importantes et à travailler avec ce cabinet parisien renommé, l’employé n’y voit que du feu. Dans la périphérie de Besançon, en trois jours, une société d’import-export s’est fait délester de 274.000 € avant que le véritable PDG, alerté par les mouvements d’argent, ne réussisse à bloquer le troisième virement d’un montant de 177.000 €. À Morez, les 94.000 € escroqués ont pu être rattrapés de justesse par la banque. Et à Bois-d’Amont (39), le patron se trouvait en face de son comptable lorsque l’appel frauduleux est arrivé.
Le maillon faible
« Le point faible d’une entreprise, plus elle est importante et sa structure éclatée, c’est l’humain », explique le capitaine Oudot, à la Région de gendarmerie de Franche-Comté qui a mis en alerte le réseau d’Intelligence économique régional, fort de près de 3.000 entreprises adhérentes. Il met en garde : « Attention, ces escrocs ont tendance à repasser à l’attaque un ou deux ans après. Si le comptable a été licencié, c’est la mémoire qui est partie… ». Selon un récent dossier de notre confrère « Marianne », les plus grosses entreprises du Cac 40 ont été la cible de ces escrocs qui auraient raflé 13 M€ l’an passé (chiffre avoué qui pourrait être beaucoup, beaucoup plus important) au terme de 125 attaques, dont 55 provenant d’Israël, où certains de ces escrocs se pavanent en toute impunité, leurs délits n’ayant pas été commis sur le sol de l’État hébreu où sont principalement basés les escrocs. C’est le Groupe délinquance économique et financière de la Section des recherches de la gendarmerie de Besançon qui a mené l’enquête sur cette escroquerie par faux ordres de virements internationaux (EFOVI). Il tente, en association avec les services juridiques et financiers de la multinationale basée à Besançon et dans le monde entier, de bloquer et récupérer tout ou partie de l’argent soutiré qui transitait par Chypre et la Chine. Sa trace s’arrête pour l’instant à Wenzhou.
La parade est simple
Cette arnaque dévastatrice pour l’économie nationale est d’une simplicité déconcertante. Dans la première phase, ses auteurs étudient la société cible par tous les moyens légaux à leur disposition sur l’Internet, allant jusqu’à environner les employés, piliers de leur stratagème, sur les réseaux sociaux. Ils savent tout de l’entreprise, de l’organigramme au mail du boss qui sera contrefait avec astuce lorsqu’ils passent à l’action. « Après c’est de la manipulation mentale et ils sont très forts », explique un enquêteur. Et particulièrement difficile à remonter. Dans le cas de la société bisontine, les mails provenaient d’un opérateur canadien, les appels téléphoniques d’Israël et d’Afrique du Sud. L’argent peut ensuite transiter par une multitude de comptes dans des pays différents. Pourtant, la parade est simple : malgré l’interdit, il faut rappeler son patron en direct, le prendre entre quatre yeux et lui poser la question. Il n’en sera certainement pas fâché. Si haut soit-on dans la hiérarchie, on n’est jamais trop proche du petit personnel. (Est Républicain du 15/1/2014)