Moyen-Orient : Russie, Turquie, Iran : les nouveaux alliés
C’est un peu le grand retour du Moyen-Orient sur la scène internationale. Certes, la région n’a jamais vraiment disparu des écrans géopolitiques, mais la situation mondiale lui redonne un statut qu’elle avait en grande partie perdu. D’où le ballet que l’on observe depuis plusieurs mois maintenant, où se croisent diplomates russes, américains, turcs, saoudiens, émiratis, israéliens et, plus discrètement, chinois.
A peine Joe Biden parti après une derrnière escale en Arabie saoudite, voilà que doit se tenir, ce mardi, à Téhéran en Iran, un sommet rassemblant Vladimir Poutine, Ebrahim Raïssi et Recep Tayyip Erdogan. Au centre de cet entretien trilatéral : la Syrie. La Russie, la Turquie et l’Iran sont trois acteurs majeurs dans le conflit qui ravage la Syrie depuis 2011 avec des rôles différents. Moscou et Téhéran soutiennent le pouvoir de Bachar Al Assad alors qu’Ankara appuie la rébellion islamiste. Ils ont lancé en 2017 le processus dit d’Astana, qui visait officiellement à ramener la paix dans ce pays. Chacun des trois pays entend suivre son propre agenda mais doit tenir compte de celui des autres.
La menace turque d'intervention en Syrie
Ainsi, ce sommet intervient alors que la Turquie menace, depuis fin mai, de lancer une nouvelle opération militaire dans le nord de la Syrie – contre Tal Rifaat et Manbij, deux localités sous contrôle des Unités kurdes de protection du peuple (YPG) –, où elle cherche à créer ce qu’elle appelle une « zone de sécurité » de 30 kilomètres à la frontière.
À quelques jours du sommet de Téhéran, Mazloum Abdi, commandant en chef des Forces démocratiques syriennes (FDS, dominées par les YPG) ayant combattu les djihadistes du groupe « État islamique » (EI) avec, en partie, le soutien de Washington, a dit, vendredi, espérer que les Kurdes « ne seront pas utilisés comme monnaie d’échange » dans les discussions. Téhéran et Moscou s’opposent officiellement à une telle offensive, estimant que cela créerait une instabilité peu propice à leur présence.
L'enjeu des céréales ukrainiennes
Mais Ankara a plusieurs cordes à son arc. Les discussions entre la Russie et l’Ukraine concernant l’épineuse question du blocage des exportations de céréales à partir des ports ukrainiens se déroulent à Istanbul et un accord pourrait être trouvé. Des responsables turcs ont même assuré disposer de 20 cargos en mer Noire prêts à être rapidement chargés de céréales ukrainiennes.
Au moment où le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, affirme que la reprise des exportations de céréales depuis l’Ukraine est une « question de vie ou de mort », la Turquie, de plus membre de l’Otan, apparaît comme incontournable. Ce qui arrange les affaires d’Erdogan. Celui-ci voit d’un mauvais œil la récente livraison de F-35 américains à la Grèce, ce qui pourrait modifier le rapport de forces en Méditerranée orientale.
Comme le note Trita Parsi, du Quincy Institute : « Toute réduction des tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran est une menace pour la durabilité des accords d’Abraham (la normalisation des relations d’Israël et d’un certain nombre de pays arabes – NDLR). Cela signifie que pour qu’Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis continuent d’avoir suffisamment d’incitations stratégiques à collaborer et à avoir des relations, et à oublier conjointement les souffrances palestiniennes, il doit y avoir une menace de l’Iran. Sinon, tout le château de cartes s’effondre. »
Des discussions secrètes entre Israël et l’Arabie saoudite
C’est dans ce cadre qu’il faut percevoir les déclarations du conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, Jake Sullivan, le 16 juillet. Selon lui, l’armée iranienne aurait présenté ses drones à une délégation russe, le 8 juin et le 5 juillet, sur la base aérienne de Kachan, à 200 km au sud de Téhéran. Des allégations que le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, a qualifiées de « sans fondement ». Washington avait déjà annoncé, quelques jours auparavant, que l’Iran s’apprêtait à livrer des centaines de drones, dont des appareils de combat, à la Russie.
Une façon pour les États-Unis de dissuader l’Arabie saoudite de se rapprocher militairement de la Russie et de la Chine, et de mettre un frein à ses débuts de normalisation avec l’Iran. Jake Sullivan s’est bien gardé de mentionner les discussions secrètes entre Israël et l’Arabie saoudite concernant des échanges de technologie de défense, Riyad étant particulièrement préoccupé par… les drones iraniens dont se seraient servi les Houthis du Yémen.
L’Iran chercherait à rejoindre les Brics
Alors que les discussions concernant le retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire iranien sont au point mort, Téhéran veut préserver l’avenir et renforce ses liens avec Moscou. Adhérente de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), depuis septembre 2021, l’Iran chercherait maintenant à rejoindre les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).