Contestation sociale des professeurs au Portugal
Depuis le début de l'année, tout le Portugal est touché par le mouvement de grogne des profs. Une profession vieillissante qui ne pourra partir à la retraite qu'à 67 ans, le manque d'attractivité des carrières, et des salaires restés longtemps bloqués pour éponger la crise économique : les enseignants portugais sont en colère et les négociations pour résoudre le conflit ne semblent pas aboutir.
Une grève nationale des enseignants a lieu au Portugal dans un contexte de montée des luttes de classe, dans ce pays comme dans le monde, trois ans après le début de la pandémie de COVID-19 et alors que l’OTAN fait la guerre à la Russie en Ukraine. Lundi dernier, les enseignants ont entamé une grève de 18 jours à l’appel de huit confédérations syndicales. Celles-ci avaient jusque là rejeté les appels à la grève, affirmant que ce n’était «pas le moment».
Ils ont appelé à la grève sous la pression croissante des enseignants qui ont organisé l’une des plus grandes manifestations depuis que la Révolution des œillets a renversé le régime portugais d’extrême droite en 1974. À l’appel du Syndicat des professionnels de l’éducation (STOP), près de 100.000 enseignants, personnels scolaires et parents ont défilé à Lisbonne. Leurs banderoles réclamaient «le respect», «la dignité de la profession», «un système scolaire public (qui fonctionne)» et demandaient la démission du ministre de l’Éducation João Costa (Parti socialiste).
Le gouvernement PS menace d’interdire la grève. «Ce qui se passe, c’est qu’il y a une grève un jour à une heure et le lendemain à une autre. À notre avis, cela ne respecte pas les principes de base de ce que devrait être une grève», a déclaré Costa. Cela reprend l’attaque du PS contre les grèves des infirmières portugaises en 2017-2018, déclarant que le financement participatif des grèves était illégal.
Les enseignants demandent la fin de l’instabilité professionnelle, de la précarité et des heures supplémentaires non payées, et réclament plus d’embauches et des salaires plus élevés. Ils ont perdu 20 pour cent de leur pouvoir d’achat depuis 2009. Ils veulent également pouvoir prendre leur retraite sans pénalité après 36 ans de service, car l’obtention d’un emploi permanent en tant qu’enseignant peut demander des décennies de travail.
Le salaire mensuel moyen des enseignants de la tranche salariale la plus basse est d’environ 1.100 euros (1.191,08 dollars), et même ceux de la tranche salariale la plus élevée sont généralement inférieurs à 2.000 euros. Les bas salaires sont aggravés par la montée en flèche du coût de la vie provoquée par le sauvetage des banques européennes et la guerre de l’OTAN en Ukraine. L’inflation a atteint 9,6 pour cent en 2022, et les prix alimentaires ont augmenté de 18,9 pour cent.
Les écoles publiques ne se sont pas remises de l’austérité imposée par l’UE après la crise capitaliste mondiale de 2008. En 2011, la Commission européenne, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne ont renfloué le Portugal à hauteur de 78 milliards d’euros. On a remboursé ces fonds remis aux banques par une décennie d’austérité imposée par tout l’establishment politique : Parti social-démocrate (PSD) de droite, PS et gouvernements minoritaires du PS soutenus par le petit-bourgeois Bloc de gauche pabliste (BE) et par le Parti communiste portugais (PCP), stalinien.
Aujourd’hui, les bureaucraties syndicales concurrentes du Portugal bloquent une lutte plus large contre le PS, empêchant une action unie des enseignants et d’autres couches de travailleurs, et les coupant des luttes ouvrières internationales. Plusieurs syndicats appellent à des grèves reconductibles, divisant les enseignants par régions, tandis que STOP soutient une grève illimitée mais refuse d’élargir la lutte.
STOP est apparu après des décennies de collaboration des syndicats avec les gouvernements successifs pour imposer des coupes dans l’enseignement public. Créé en 2018, il se pose comme une alternative «apolitique» aux syndicats traditionnels. Il se qualifie de «syndicat non sectaire, non partisan et véritablement démocratique», qui s’engage à «ne jamais signer d’engagements/accords importants avec le gouvernement sans d’abord écouter démocratiquement la classe enseignante».
STOP a organisé une manifestation de 20.000 enseignants à Lisbonne en décembre dernier et a appelé à la grève actuelle. Il ne propose cependant pas d’alternative aux anciennes bureaucraties syndicales et refuse explicitement d’élargir la grève à une lutte contre la guerre de l’OTAN et contre le gouvernement PS. STOP est dirigé par André Pestana, un ex-dirigeant du BE, qui a fondé le pseudo de gauche Movimiento Alternativa Socialista (MAS).
Sur Facebook, STOP déclare que si les enseignants veulent élargir la lutte, STOP et les autres syndicats ne peuvent pas travailler dans ce sens. Il déclare: «L’écrasante majorité des commissions de grève/syndicats ont accepté de faire appel à la solidarité de la société civile, comme nous l’avons fait le 14 janvier pour le 1er mars (sans inviter spécifiquement aucun secteur professionnel)».
En réalité, les grèves éclatent dans tous les secteurs économiques. En novembre, des milliers de médecins, de soignants, d’enseignants et de fonctionnaires portugais ont fait une grève d’une journée pour réclamer des augmentations de salaire. Ils s’opposaient aux augmentations salariales dérisoires de 3,6 pour cent prévues pour le secteur public en 2023. Le personnel judiciaire doit se mettre en grève du 15 février au 15 mars pour les salaires.
Dans l’usine d’assemblage Autoeuropa de Volkswagen près de Lisbonne, l’un des principaux exportateurs du Portugal, 5.100 travailleurs ont fait grève. La bureaucratie syndicale a imposé une augmentation salariale de 5,2 pour cent, réduisant ainsi les salaires réels de 4 pour cent.
À partir de décembre, les travailleurs de l’administration portuaire et le personnel de l’autorité des inspections vétérinaires et sanitaires (DGAV) ont fait grève pour obtenir une augmentation de leurs salaires. Les cheminots se sont également mis en grève, réclamant des primes pour compenser la baisse du pouvoir d’achat en 2022. Cette grève a entraîné l’annulation de plus d’un millier de trains.
Dans les semaines à venir, le personnel de cabine de la compagnie aérienne publique TAP fera grève pour réclamer des salaires plus élevés, de meilleures conditions de travail et pour s’opposer à un plan de sauvetage de la TAP de 3,2 milliards d’euros, approuvé par l’UE. Celui-ci réduirait la flotte, supprimerait plus de 2.900 emplois et baisserait les salaires de jusqu’à 25 pour cent.
Les travailleurs du Portugal ne peuvent pas lutter contre les problèmes essentiels auxquels ils sont confrontés, divisés par industrie et au niveau national. Tous ces problèmes – la montée de l’inflation, la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, l’austérité de l’UE et la pandémie de COVID – sont essentiellement des problèmes internationaux et mondiaux. Ils ne peuvent être résolus qu’en construisant un puissant réseau d’organisations de lutte de la base, pour coordonner des luttes internationales unies de la classe ouvrière. (selon "World Socialist Web Site")