Saint-Dié : Christian Pierret, ancien maire et ministre
À 75 ans, Christian Pierret est toujours actif. Le parcours de l’ancien ministre délégué à l’Industrie et maire honoraire de Saint-Dié a été marqué par la recherche de l’innovation. Y compris lorsque sa vie d’homme politique s’est arrêtée.
Paris - Saint-Dié-des-Vosges. Deux villes qui ont compté et qui comptent dans la vie de Christian Pierret. Entre la ville des Lumières et la cité déodatienne, c’est bien dans cette dernière qu’on le retrouve, ayant à peine franchi le cap de ses 75 ans. Un âge propice pour tirer les leçons du passé où il a « beaucoup donné », mais il n’est pas forcément question de ne regarder qu’en arrière.
La vie ne s’arrête pas - heureusement - lorsqu’on atteint les trois quarts de siècle. Encore moins pour ce fier père de quatre filles (Claire, Anne-Sophie, Karen, Laureen), accompagné par son épouse Marie et grand-père de huit petits-enfants. « C’est l’âge d’un nouveau commencement et surtout un temps d’optimisme. L’optimisme d’avoir des enfants merveilleux et des petits-enfants qui sont pleins d’espoir. Le monde qu’ils ont à affronter est difficile, mais ils sont de taille à l’affronter. »
Cette dernière phrase, Christian Pierret pourrait en dire autant pour sa propre vie. C’est dans l’immédiat d’après-guerre qu’il voit le jour, le 12 mars 1946 à Bar-le-Duc dans la Meuse, d’un père ingénieur, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale et dirigeant de société et d’une mère au foyer.
Celui qui reçoit une « éducation stricte » montre qu’il a de la ressource : maîtrise de sciences économiques, Sciences Po Paris, ENA. Après quelques expériences dans la haute administration, Christian Pierret embrasse une carrière politique. Engagé au sein du Parti socialiste (PS), l’homme politique se souvient des scènes de « liesse populaire dans les rues de Saint-Dié » en 1981, année qui scelle la victoire présidentielle de François Mitterrand et le début de l’alternance au sommet du pouvoir.
« La souffrance ouvrière » sous les yeux
Cette année-là, le poste de rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale lui revient : « J’ai fait 36 lois de finances ou assimilées. C’est un record. » Une nouvelle aventure trois ans après son élection en tant que député des Vosges en 1978 (l’un des plus jeunes élus de l’époque).
« Le textile et l’habillement s’écroulent. J’ai vu de mes yeux la souffrance ouvrière lorsqu’à Boussac, à la porte de l’usine de Moyenmoutier, sur un petit pont qui enjambe le Rabodeau, des jeunes femmes qui travaillent pour la plupart sur des métiers à tisser lisent la fiche des licenciés qui est placardée, certaines s’écroulent, pleurent. La conscience est née que cela n’était sauvable que si on innovait, je me suis battu pour que l’emploi soit maintenu, qu’il y ait du dialogue social, qu’on puisse trouver des conversions d’activité au prix d’une formation nouvelle. »
En 1997, Christian Pierret entre au gouvernement en tant que secrétaire d’État à l’Industrie (jusqu’en 2002), puis ministre délégué à l’Industrie (2002) sous le gouvernement de Lionel Jospin. Poursuivi par la justice à plusieurs reprises, Christian Pierret en sort blanchi.
Ayant Jacques Delors comme mentor en économie, le Vosgien est partisan de la social-démocratie, d’un courant réformiste qui joint économie de marché et sens aigu de la justice, de la solidarité. « J’ai retenu cette phrase : le travail est une valeur de gauche s’il est correctement rémunéré », se souvient Pierre Leroy, ex-président du Cercle des amis de Christian Pierret.
Un tribun remarquable
Après ses expériences gouvernementales, il se heurte à un plafond de verre. Ce ponte du socialisme, fidèle à ses convictions, qui a côtoyé Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac et même Emmanuel Macron, ne parvient pas à se frayer une place dans la course à l’Élysée.
Sa candidature à la primaire de son camp pour l'élection présidentielle de 2012 est recalée, faute de ne pas avoir rassemblé un nombre suffisant de signatures pour que son inscription soit validée, suscitant l’ire de l’édile. Pas de destin présidentiel donc.
Cultivé, intelligent, sincère, humain, attaché à la fidélité, l’homme politique est aussi un excellent orateur. « À la fois un défaut et une qualité », apprécie le principal intéressé.
« C’est un tribun, je l’ai vu arriver dans des salles communales ou polyvalentes où il n’avait rien en tête, sans fiche. Il était capable de tenir le crachoir pendant deux heures de manière remarquable. Il me fait penser à Mélenchon. Il a une très grande maîtrise du verbe », remarque Vianney Huguenot, son ex-directeur de la communication.
À un échelon plus local en revanche, il trace sa route en Déodatie. En plus des postes de conseiller général des Vosges pour le canton de Saint-Dié Est (de 1979 à 1989) et de conseiller régional de Lorraine (de 1978 à 1988 et de 1998 à 2001), il décroche la mairie de Saint-Dié-des-Vosges, son « service » (puisque c’est ainsi qu’il voit son rôle d’homme politique) qui l’a marqué le plus.
« Le plus beau des mandats que j’ai fait » (de 1989-1997 et de 2002-2014), assure-t-il. Contrat de ville, zone d’activités, IUT, Cirtes… « J’ai voulu apporter l’activité économique, la maintenir, développer la formation, l’innovation et la recherche », indique l’ancien édile. « Il voulait que tout aille très vite », se remémore l’un de ses adjoints, Pierre Leroy.
La foi dans les signes
Installé dans la Marraine de l'Amérique, Christian Pierret a aussi imaginé faire de Saint-Dié, déjà vivante côté lecture, une ville phare de la géographie. Il en est convaincu : « Une ville moyenne peut être une ville de culture et a les ressources pour accueillir. »
Depuis 1990 se tient donc le Festival international de géographie, rendez-vous incontournable de l'automne. Ou quand l’international rencontre l’hyper-local, comme un symbole de ce que pouvait connaître son président-fondateur dans son quotidien. « Il pouvait boire un coup dans un bistrot avec deux militants socialistes et discuter en anglais le lendemain avec Shimon Peres (ancien Président et Premier ministre israélien, N.D.L.R) », constate Vianney Huguenot.
Catholique, Christian Pierret est de ceux qui croient aux signes « dont on comprend la signification a posteriori ». Première prémonition : « En terminale, j’ai eu le premier prix de géographie en région parisienne : un livre sur les Vosges. » La seconde, tissant un lien à la fois avec l’Amérique et le créneau ministériel qu’il a occupé : « J’ai été convié aux États-Unis pour voir ce que je souhaitais, j’ai choisi le développement de l’industrie, étant fils d’industriel, ça peut se comprendre. »
Président du Cercle Jefferson qui réunit les anciens « International visitors » (IV) sélectionnés par l’Ambassade des États-Unis en France en fonction de leur potentiel, il tient également le rôle de vice-président « actif » au sein de la Société française des Amis de la Russie (Sofarus).
Médecine de demain
Parlant français, anglais, allemand et italien, ses voyages privilégiés sont en Europe, « dans ma civilisation ». Grand lecteur, amateur de musées, il ne cache pas son penchant pour l’art baroque (notamment Le Caravage), un « art européen » visible « de Londres à Moscou et de l’Espagne à la Suède ».
Lui-même est aquarelliste, brossant des paysages vosgiens pour le plaisir. Il a aussi un faible pour « L’hymne à l’amour » d’Édith Piaf et pour la philosophie. Planchant depuis plusieurs années sur la pensée de Martin Heidegger, après avoir sondé celles de Jean-Jacques Rousseau et d’Emmanuel Kant. « Je sais que je ne parviendrai jamais aux termes de cette quête de mieux comprendre le monde », avoue-t-il modestement.
Ce qui ne l’empêche pas de vouloir qu’il soit changé, ce monde. Loin de se reposer, c’est maintenant dans l’écosystème des BioTech (biotechnologies) et MedTech (dispositifs médicaux), des start-up innovantes en matière de recherche médicale que l’ex-homme politique évolue (il en a même co-fondé plusieurs). L’innovation continue de lui coller à la peau. Il a notamment travaillé avec Carmat, société qui a de la suite dans les idées puisqu’elle développe un coeur artificiel total, auto-régulé et bio-compatible.
La page de l’homme politique est désormais tournée pour Christian Pierret. Son cœur continue de battre pour la social-démocratie et sa réflexion demeure toujours d’actualité. Dernière preuve en date : la sortie de son ouvrage coécrit avec Philippe Latorre et intitulé « Le nouveau contrat social : l’entreprise après la crise ». Les idées, toujours les idées. (selon "Vosges-Matin")