L'inconcevable tragédie de l'avion de la compagnie low cost allemande tourne en boucle sur tous les médias . L'ensemble de cette presse crie « haro sur le baudet » : à savoir le copilote qui aurait pété des plombs et qui, de dépressif suicidaire est devenu assassin de 149 personnes. Mais personne ne cherche à creuser plus loin, à montrer du doigt les co-responsables (pour le moins !) de cette catastrophe, à savoir les invraisemblables conditions d'embauche et de travail du personnel et en particulier des personnels navigants des compagnies low cost.
Ces compagnies sont l'illustration caricaturale des dérives de la société ultralibérale dont le seulleit-motiv est : le fric, le fric, le fric ! Le fric à tout prix. Le développement du low-cost se fait partout au détriment du droit du travail et des protections sociales, et par voie de conséquence au détriment de la sécurité, tout en bénéficiant de millions de subventions publiques optimisées dans des paradis fiscaux. Le transport low cost consiste à faire payer à des gens pauvres qui ne prennent jamais l'avion les voyages d'agrément de gens aisés. Ceci à travers des subventions et des frais de marketing s'ajoutant à d'énormes investissements d’infrastructures à la charge des collectivités territoriales (département, région, chambres de commerce, offices de tourisme, etc.). La finalité de ces compagnies est de proposer le transport lui-même gratuitement aux passagers (pour l'image, la pub), sollicités voire rackettés par ailleurs sur tout l'accessoire (billet d'envol, bagages, repas en vol, toilettes, tout, tout est payant). Ces compagnies ne vendent plus des billets de transport mais prétendent amener à leurs « sponsors » un flux de touriste dans la région concernée. Ils ne vendent pas un transport à un passager mais un service à des institutions bien naïves...
Les compagnies classiques comme Air France ou Lufhansa, pour lutter contre ces compagnies nouvelle vague créent elles-mêmes leurs compagnies low cost : Transavia pour Air France, Germanwings et une autre compagnie pour Lufthansa (en train de regrouper ses deux compagnies pour faire encore baisser les frais, ce qui provoque de longues grèves dans tout le groupe). Pour cela, les compagnies « majors » doivent s'aligner sur les méthodes des low cost les plus « performantes » (celles qui gagnent le plus de fric) à savoir Ryanair et Easyjet. Le patron d’Air France-KLM, Alexandre de Juniac – passé directement de la direction du cabinet de Christine Lagarde, ministre de l’Économie de Sarkozy, à Air France en 2011 a au moins le bénéfice de la franchise : « Si on pouvait faire du low-cost avec les règles de fonctionnement d’une compagnie traditionnelle, cela se saurait ! Il n’est donc pas possible d’aller travailler chez Transavia aux conditions d’Air France, sauf à tuer Transavia. » Pareil pour Lufthansa et ses propres low cost...
Regardons donc de plus près ce que sont les « règles de fonctionnement » des low cost. Ecoutons le sénateur Bocquet : « Le succès économique de ces compagnies repose sur une réduction drastique de la plupart des coûts, en particulier ceux afférents au personnel. Il n’est donc pas étonnant de constater qu’à l’image de Ryanair, elles soient à la pointe des techniques d’optimisation sociale, en contournant le droit européen voire en y dérogeant. Dans un contexte de concurrence exacerbée, ces pratiques tendent désormais à être mises en œuvre au sein de certaines filiales de grands groupes », analyse le sénateur communiste Éric Bocquet dans un rapport récent sur le dumping social dans le transport européen.
Ces compagnies pratiquent la généralisation du recours aux travailleurs indépendants pour composer leurs équipages. Ce statut leur permet de s’exonérer des charges sociales et patronales. Ryanair est sans doute l’entreprise qui a le plus développé ce système. 70 % des 3 200 pilotes seraient recrutés sous ce statut. 60 % des personnels de cabine », note le sénateur.
La compagnie irlandaise a mis en place une filière complexe permettant de ne pas apparaître comme l’employeur de ses propres pilotes, à travers une multitude d’entreprises d’intérim. Ces pilotes dit indépendants travaillent, dans le cas de Ryanair, exclusivement pour elle. Ils se voient imposer des sanctions s’ils ne respectent pas les consignes et sont tenus à un préavis de trois mois s’ils souhaitent rompre leur contrat. Toutes les contraintes d’un travail salarié, donc, mais sans les cotisations sociales ! Ceux qui ont la chance d’être embauchés directement par Ryanair le sont de toute façon sous contrat irlandais, quel que soit le pays de leur base d’affectation. Il faut dire que les charges patronales y représentent moins de 11 % du salaire brut... L’Irlande qui, soit dit en passant, avait reçu 85 milliards d’euros d’aides de l’Union européenne et du Fonds Monétaire International pour éviter l’effondrement de son système bancaire et financier. Tous les collaborateurs, pilotes ou personnel de cabine doivent également payer de leur poche la formation interne, selon le rapport du sénateur Bocquet. « Cette dépense est traditionnellement à la charge des exploitants. »
"Si nous ne volons pas, nous ne sommes pas payés", a expliqué le porte-parole des pilotes de Ryanair, modèle rêvé pour toutes les compagnies low cost. Ceux-ci n'hésiteraient donc pas à prendre leur service même s'ils ne sont pas en état - ce qui est explicitement interdit par une législation européenne - pour ne pas perdre de revenus. Christian Fletcher commandant de bord chez Ryanair, dans un livre qui a fait du bruit dans les milieux aéronautiques (Ryanair : low cost mais à quel prix - Editions Altipresse - 303 pages – 19,90 euros - n°ISBN : 9-791090-465206) se contente dans son livre de « relever » et d’expliquer ce qui lui apparaît comme contraire à la sécurité des passagers aériens.
Première constatation : Ryanair – rappelons-le, modèle de toutes les low cost - n’a qu’une ambition, et vraiment qu’une seule, celle de gagner de l’argent, beaucoup d’argent. Deuxième constatation, qui découle de la première : tout est bon pour réduire les coûts et augmenter les profits. Les personnels navigants techniques et commerciaux payent leurs uniformes, leurs formations (30.000 euros), leur badge, leurs frais de déplacement… Évidemment sans syndicat, employés en contrat précaire de droit irlandais, y compris pour quasiment tous les personnels basés dans tous les pays d’Europe et d’Afrique du Nord, les salariés de Ryanair n’ont droit ni à la retraite, ni à la sécurité sociale, ni au chômage, ni à aucune indemnité…
Les équipages ont « peur », insiste l’auteur à plusieurs reprises dans son livre. Un passage du livre explique : « … Nous dormirons quelques heures, habillés de nos uniformes Ryanair, à même le sol, dans l’agence de handling de Gênes. La compagnie ne nous fournira aucune compensation financière, et bien entendu ni repas ni boissons. A cause d’une fin de service tardive, notre période de repos obligatoire s’est rallongée. Par conséquent, la plupart d’entre nous ne pourra pas assumer les vols prévus le lendemain. La conséquence immédiate est une sanction financière. En effet, en tant que contractants, nous ne sommes pas rémunérés si nous ne volons pas… ».
Autre constatation, et pas des moindres, qui découle des précédentes : la sécurité est évidemment mise en cause avec de telles pratiques. Notamment à cause de cette peur des équipages, et aussi de la fatigue accumulée. Jusqu’à six vols par jour ! Lisez bien ceci : « Le Cdb (commandant de bord) se retourne vers son copilote et lui demande s’il va bien. Sans réponse, il passe sa main devant les yeux du copilote cachés par des lunettes de soleil. Pas de réaction ! Le copilote est en train de dormir… Le plus grave, c’est qu’il s’est endormi sans s’en rendre compte et donc sans prévenir le Cdb… » L’action se passe en finale, alors que le copilote est pilote en fonction. (selon Agora-Vox)
Voilà qui éclaire d'un autre œil la tragédie des Alpes : l'état dépressif du co-pilote ne serait-il pas lié aux conditions de travail extrêmes chez Germanwings ? Il semble qu'il ne faut surtout pas parler des lowcost et de leurs exécrables pratiques. Cela ferait désordre. Et donc les causes de ces crashes ne peuvent être mises que sur le compte de la défaillance humaine ? N'y aurait-il pas de "fautes" humaines ailleurs que dans les cockpits ? La Lufthansa et ses succursales ont connu quatorze grèves en 2014. Et si la direction s'était penchée sur les problèmes des pilotes autrement qu'en rendant ces grèves impopulaires ?