Intrigues, complots, alliances et agressions permettent aux chimpanzés de grimper peu à peu dans la hiérarchie du groupe et d’atteindre les plus hautes sphères du pouvoir. Sans tomber dans la caricature, on constate bien des similitudes entre leur politique et la politique humaine. C’est ce que démontre le paléoanthropologue français Pascal Picq dans son dernier ouvrage intitulé «L’homme est-il un grand singe politique?».
Alors, l’homme est-il un grand singe politique?
Certainement. Si l’on compare les comportements des chimpanzés aux nôtres, on s’aperçoit qu’il y a un fondement commun. Les chimpanzés ont la même capacité que nous à préméditer leurs actions, à monter des coalitions ou à apprécier les rivalités. Et quand l’un d’eux a le pouvoir, il fait tout pour le garder. Certains sont tyranniques, d’autres sont démocrates ou courtisans. Comme chez l’homme, il y a chez les chimpanzés toutes les figures du prince Machiavel, où ne règne pas la loi du plus fort.
Les autres singes n’ont pas cette capacité?
Non. Il peut y avoir des intrigues liées à la relation entre dominants et dominés, mais, dans l’état actuel de nos connaissances, pas de vraie politique. Le chimpanzé est le seul singe politique avec l’homme.
Vous n’hésitez pas à dire que les chimpanzés sont parfois de meilleurs politiciens…
Ces primates ne feraient pas des erreurs aussi grossières que celles de Nicolas Sarkozy. Dans une démocratie élective, le leader doit être à la hauteur de sa fonction, et ne pas répondre comme n’importe qui à quelqu’un qui l’insulte. Il doit en imposer. Ce qui surprend chez Nicolas Sarkozy, c’est son comportement agité, qui n’est, éthologiquement parlant (l’éthologie étudie les gestes et attitudes qui composent le répertoire comportemental, ndlr), pas commun chez un mâle dominant. En outre, sa façon de chercher continuellement un soutien, auprès d’Angela Merkel, par exemple, montre une certaine fébrilité.
Dans votre livre, vous citez un exemple avec Barack Obama…
Quand Barack Obama s’adresse au président français par un «M. Sarkozy», celui-ci réplique avec un «Barack», négligeant la représentation de la fonction dans des circonstances officielles. Nicolas Sarkozy a voulu désacraliser sa fonction, mais il est tombé dans la vulgarité. C’est consternant de voir que ses communicants ignorent toutes les bases éthologiques et symboliques de la domination par les attitudes corporelles.
Vous vous montrez très critique à l’égard des communicants.
Au point d’émettre l’idée de les remplacer par des éthologues… Ça leur ferait du bien! Les discours qu’ils écrivent sont de plus en plus édulcorés. C’est au politicien qui fera le moins d’erreurs pour préserver l’image façonnée par les communicants et perdra le moins de points durant la campagne. Pour compenser, la gestuelle devrait être soignée, mais c’est l’inverse qui se produit. Il faut retrouver les fondements éthologiques de la conquête du pouvoir, l’importance des discours – ce qui devrait nous distinguer des chimpanzés – et laisser les communicants organiser des pique-niques!
Aristote disait que l’homme est un animal politique grâce au langage. Est-ce encore vrai?
D’un point de vue politique, je ne fais aujourd’hui pas de grandes distinctions entre les chimpanzés et les humains, tant les discours sont médiocres. Personne n’est plus capable de proposer des projets permettant à une nation de se dépasser! Comme si nos démocraties ne pouvaient plus se réinventer. On revient à la politique des chimpanzés.
Selon vous, l’épouillage fait aussi partie des fondements communs que nous partageons avec les singes. Qu’entendez-vous par là?
On en a eu un bel exemple durant la campagne présidentielle qui a opposé Jacques Chirac à Edouard Balladur. Si ce dernier était davantage allé au contact du peuple, il aurait certainement gagné. Dans une démocratie au suffrage universel, l’échange de propos banals – l’épouillage chez les singes – permet de mettre en confiance et est nécessaire dans la gestion de la gouvernance. Actuellement, le candidat Sarkozy travaille à changer son comportement pour «représidentialiser» sa gestuelle et ses attitudes, en ayant par exemple plus d’humour. Il se remet aussi à «épouiller», en digne animal politique qu’il est.
Sous l’angle éthologique, quel candidat a vos faveurs?
Au jeu de l’épouillage, le candidat de droite, s’il évite la vulgarité et le populisme, a plus de chances que celui de gauche, trop intellectuel bien que sympathique.
Chez l’homme, on constate que la gouvernance est souvent en mains masculines. Sommes-nous plus machos que les grands singes?
A l’aune des sociétés de chimpanzés, sans aucun doute. Et surtout dans les pays du Sud de l’Europe. L’homme a été capable, à travers les mythologies, les théologies, les philosophies et les idéologies, de s’imposer aux femmes. Il en a aussi fait une «loi naturelle», parfaitement récusée par les chimpanzés. Cela s’est renforcé depuis l’invention de l’agriculture. L’homme a très tôt enfermé la femme dans la maison et le jardin, loin des enjeux de la Cité. Chez les chimpanzés, les femelles jouent un rôle majeur, même si elles n’ont pas toujours un accès direct au pouvoir.
Et c’est encore plus marqué chez les bonobos, où les femelles sont dominantes…
Afin d’éviter les coalitions entre mâles, elles les séparent en leur proposant une petite copulation! Cela prouve que même en cas d’exogamie (quand les femelles doivent quitter un groupe social pour trouver un partenaire, ndlr) elles arrivent à s’imposer. Les femmes, avec leur pouvoir de séduction, seront amenées à avoir plus de responsabilités, comme chez les grands singes! L’archaïsme en politique se révèle très humain sous le regard de l’anthropologie évolutionniste. Complots, alliances, intrigues… les chimpanzés ne reculent devant aucune stratégie pour grimper dans la hiérarchie.
A lire «L’homme est-il un grand singe politique?» aux Editions Odile Jacob, de Pascal Picq, 2011.