Un élu mosellan répond à Sarkozy
Monsieur le Président de la République,
Vous m’avez adressé, comme à l’ensemble des parlementaires, un courrier daté du 25 juillet dernier m’informant de votre souhait de voir inscrire dans la Constitution une règle d’or visant à l’encadrement de nos finances publiques et qui serait appliquée après vote du Congrès pour l’exercice budgétaire 2013. A la lecture de votre courrier, j’ai été assez surpris par le mode d’expression que vous avez employé à l’endroit de la Représentation Nationale puisque que celui-ci n’est pas prévu dans la Constitution. Mais ne souhaitant pas faire preuve d’un formalisme outrancier dans la période économique plus que tourmentée que nous connaissons, c’est sur le fond que je veux vous répondre.
Je fais d’abord le constat que votre action de Président de la République depuis 2007 n’a pas permis, loin s’en faut, d’améliorer l’état des finances publiques de notre Pays et moins encore de son dynamisme économique, les deux étant extrêmement liés. Ainsi sous votre quinquennat, qui s’achèvera en mai prochain, le déficit budgétaire annuel sera passé de 3.2% à 7.1% du PIB et la dette se sera littéralement envolée. Elle était de 62% du PIB lors de votre prise de fonction, elle atteint désormais 84.5% du PIB. Vous expliquez cette évolution bien peu flatteuse uniquement par les effets de la crise économique qui sévit depuis fin 2008. C’est à mon sens une échappatoire facile. En réalité, selon plusieurs rapports émanant de grands corps d’Etat, seulement un tiers de l’augmentation de la dette serait directement dû à la crise.
L’endettement massif qui pèse sur notre budget au point que désormais le remboursement des intérêts de la dette est le deuxième poste des dépenses de l’Etat derrière l’Education Nationale, n'est pas le résultat d'une hausse des dépenses qui auraient pu servir à relancer l'économie ou aider à des politiques sociales plus justes. Je fais le constat qu’il est surtout la conséquence d'une baisse des recettes au profit de ceux qui n'en n'avaient pas le plus besoin. Je pense en particulier au bouclier et aux niches fiscales qui ont permis à quelques grandes fortunes de s'enrichir plus encore, à l'abaissement de la TVA pour les restaurateurs dont chacun d'entre nous aura pu remarquer qu'il n'a pas été répercuté sur les prix, à la suppression une fois encore mal compensée de la taxe professionnelle et plus grave encore à la funeste politique d'exonération de charges sur les heures supplémentaires qui a créé un effet d'aubaine et qui nuit à l'emploi de l'avis de tous.
Cette dernière mesure est d'ailleurs la seule qui survive encore à la loi TEPA (Travail, Emploi, Pouvoir d'Achat) que vous aviez présenté comme l'alpha et l'oméga de votre politique économique et que le groupe socialiste de l’Assemblée Nationale auquel j’appartiens avait alors justement qualifié de pêché originel. Entre les allègements fiscaux et les exonérations de charges sociales, c'est plus de 100 milliards d’euros par an qui sont soustraits au budget de l’Etat et à celui de la Sécurité Sociale. Reprenant une célèbre phrase d’un débat télévisé qui opposa naguère deux candidats à l’Election Présidentielle, je dirais qu’en matière de finances publiques, vous avez été l’homme du passif. Vous réclamez la recherche de l’unité nationale autour des problèmes financiers alors que vous les avez indéniablement amplifiés.
S’agissant précisément de la règle d’or, considérant qu’il est urgent d’agir rapidement, je crois pour ma part qu’il serait plus judicieux d’ajouter un amendement à la prochaine Loi de Finances pour l’exercice 2012 que les deux assemblées examineront à l’automne prochain et par lequel la France s’engagerait à respecter sa trajectoire de retour sous la barre des 3% de déficit annuel, dès 2013.
Après tout, c’est par la loi de finances et par le débat politique qu’il implique que le Parlement doit fixer les engagements financiers de la Nation. Chaque groupe politique apportera dans le débat ses propositions de nature à rétablir l’équilibre budgétaire et à baisser la dette de l’Etat. Je conviens qu’un effort collectif est désormais nécessaire mais les moyens et les choix pour y parvenir ne seront, à n’en pas douter, pas les mêmes selon les groupes politiques.
Je considère ainsi qu’il faut cesser de faire toujours porter directement ou indirectement l’effort fiscal sur les classes moyennes et préserver ceux qui sont en capacité d’y échapper par des stratégies fiscales particulièrement coûteuses pour le budget de l’Etat. Ce dont notre Pays a besoin, au plus vite, c’est d’une réforme fiscale d’ampleur, pour plus de justice, d’égalité et d’efficacité au service de l’investissement et de l’emploi.
Puisque vous m’avez interrogé sur la règle d’or, je profite également de ce courrier de réponse pour formuler plusieurs remarques s’agissant de votre récent entretien avec la chancelière de la République Fédérale Allemande, Angela MERKEL qui avait également à l’ordre du jour ce sujet. Sur le renforcement de la gouvernance de la zone Euro, je ne peux que souscrire aux propositions qui ont été formulées. On peut toutefois nourrir quelques doutes quant à la capacité d’action de ce gouvernement économique européen si ce dernier ne se réunit que deux fois l’an alors que le chantier des réformes est tellement vaste.
A propos des « eurobonds » ou obligations européennes, je suis en revanche bien plus critique. Ce sujet n’a pas été opportunément abordé alors que cet outil, à travers la mutualisation d’une partie des dettes, pourrait permettre aux Etats les plus fragiles de la zone euro de se retrouver mieux protégés des attaques spéculatives, de taux d’intérêt exorbitants obligeant à des coupes budgétaires massives se traduisant par des reculs sociaux particulièrement dangereux.
En réalité, si les pays dont la dette est importante ne sont pas protégés au plus vite (Grèce, Italie, Portugal, Irlande) c’est de toute façon toute la zone euro qui sera exposée à un risque majeur pour son économie et notamment pour sa monnaie. Ainsi Outre-Rhin, si la chancelière est viscéralement opposée à la création d’eurobonds, certaines personnalités issues du même parti qu’elle commencent désormais à s’inscrire à contre-courant. Le député CDU Johann WADEPHUL a ainsi indiqué qu’il ne croyait pas que les euro-obligations soient « un instrument du démon ».
Au final, je fais le constat que cette rencontre franco-allemande qui devait servir à rassurer les marchés, et en réalité bien peu les peuples, n’aura pas permis de faire des avancées significatives. Les marchés ne semblent d’ailleurs pas avoir entendu un message susceptible de les rassurer.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, en l’expression de ma très haute considération.
Michel LIEBGOTT